Interview avec Saad Faouzi : le pari gagnant sur les MRE pour le développent du secteur IT au Maroc

Expert en innovation technologique et leadership stratégique, opérant entre la France et le Royaume-Uni, Saad Faouzi est intimement convaincu que les MRE et les compétences marocaines peuvent contribuer pleinement au développement du marché IT au Maroc à condition de leur fournir un cadre propice pour investir et s’installer au Royaume. Dans cette interview, il livre des pistes de réflexion. Entretien.

 

– Vous êtes engagé dans le secteur IT au Maroc, quelle appréciation faites-vous de l’état du marché actuellement et de son évolution ?

Le marché IT au Maroc est à un tournant stratégique. Il évolue d’un modèle centré sur l’externalisation de services vers une véritable création de valeur locale. En 2022, les investissements dans les technologies de l’information ont progressé de 7 %, reflétant une adoption rapide des technologies telles que le cloud, la cybersécurité et l’intelligence artificielle (IA). Cependant, des défis persistent, notamment un déficit en compétences techniques et en leadership numérique.

L’écosystème technologique marocain a un potentiel immense : selon l’IDC, le marché africain de l’IT devrait atteindre 180 milliards de dollars d’ici 2030, et le Maroc est bien positionné pour jouer un rôle clé en tant que hub régional. Toutefois, il est crucial de développer des partenariats public-privé efficaces et de réformer les programmes de l’éducation numérique pour aligner les compétences avec les besoins des entreprises.

Nous devons évoluer vers un modèle qui valorise non seulement le savoir-faire technique, mais aussi le “savoir-faire-faire”. Cela implique de développer des leaders capables de transformer des idées en solutions technologiques impactantes, d’attirer des investissements internationaux et de positionner le Maroc comme un acteur stratégique dans la chaîne de valeur IT mondiale. Mais concrètement, Le Maroc a toutes les cartes en main pour se hisser parmi les leaders régionaux de l’économie numérique.

– Aujourd’hui ce marché est en pleine expansion, plusieurs nouveaux métiers apparaissent et les besoins en termes de compétences sont de plus en plus nombreux. Quels sont à votre avis les profils les plus demandés qui manquent au Maroc ?

La demande est particulièrement forte pour les développeurs full-stack, les experts en cybersécurité, les spécialistes en IA et data science, ainsi que les architectes d’entreprise dans le domaine de cloud. Par exemple, dans le domaine de la cybersécurité, le marché mondial connaît une croissance annuelle de 28 %, mais le Maroc forme moins de 500 professionnels par an, un chiffre insuffisant pour couvrir les besoins croissants.

De plus, les profils polyvalents capables de combiner expertise technique et compréhension des secteurs métiers sont de plus en plus recherchés. Les industries comme l’agroalimentaire, la finance, et l’énergie nécessitent des solutions basées sur des données, mais les professionnels capables de concevoir des systèmes d’information stratégiques adaptés à ces besoins sont rares. Une étude récente montre que 40 % des entreprises marocaines considèrent le manque de compétences comme une barrière à leur transformation digitale.

– Vous êtes convaincu qu’il existe des compétences marocaines avec un énorme potentiel à l’étranger qui peuvent contribuer à développer ce secteur au Maroc, peut-on avoir des exemples à travers votre propre expérience ?

Absolument. J’ai personnellement collaboré avec des ingénieurs marocains occupant des postes clés dans des entreprises comme Google, Amazon ou des start-ups technologiques à Paris et Londres. Un exemple frappant est celui d’un compatriote dirigeant une équipe de recherche en IA chez Google : son expertise pourrait être transposée pour développer des solutions d’IA appliquées à des problématiques locales comme l’agriculture intelligente ou la gestion des ressources en eau.


Au sein d’Atlas Think Tank, nous avons également identifié des dizaines de Marocains de la diaspora occupant des fonctions stratégiques à l’international et prêts à collaborer sur des projets locaux. Ces talents représentent une opportunité majeure pour stimuler l’innovation et accélérer la montée en compétence au Maroc à travers des incubateurs technologiques et des programmes de mentorat.

– Comment attirer ces compétences et à travers quelles incitations ?

Pour attirer ces talents, nous devons offrir une combinaison de vision stratégique, incitations économiques et infrastructures modernes. A mon avis, il faut absolument des Incitations fiscales et des facilités administratives. Il serait pertinent d’introduire des exonérations fiscales spécifiques pour les MRE qui investissent ou apportent leur expertise dans des régions stratégiques comme l’Oriental ou Drâa-Tafilalet. Cela pourrait inclure des avantages fiscaux sur les revenus liés à leurs projets et une simplification des démarches administratives pour faciliter leur installation et leur activité.


En même temps, pensons à créer des hubs technologiques régionaux . Cela permet à ces talents de travailler sur des projets d’envergure internationale tout en restant connectés au marché local. Par exemple, la région de Fès-Meknès, qui bénéficie d’un excellent vivier de talents grâce à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, pourrait devenir un pôle technologique national et international. En outre, il est indispensable de développer des ponts collaboratifs et des partenariats internationaux. En suivant l’exemple de l’Inde, qui a rapatrié des milliers de talents grâce à des partenariats avec des multinationales, le Maroc pourrait développer des collaborations stratégiques avec des entreprises européennes et mondiales pour offrir et diriger des projets technologiques intégrant toutes les étapes, du design à la mise en production.


Imaginez un écosystème où des MRE dirigeraient des projets technologiques marocains déployés à l’échelle mondiale. Ce rêve peut devenir réalité en alignant les efforts publics et privés.

– En tant que MRE porteur d’un projet au Maroc, quels sont les défis auxquels vous faites face ?

Les défis sont multiples. La bureaucratie administrative est un frein majeur, rendant difficile le démarrage et la gestion quotidienne des projets. L’accès au financement est également limité, les fonds de capital-risque et les investisseurs restent prudents face à l’innovation technologique au Maroc. En comparaison, des pays comme le Kenya, avec un écosystème de 200 startups tech financées en 2022, surpassent le Maroc.


Enfin, le manque d’agilité et de flexibilité dans les partenariats public-privé entrave souvent la mise en œuvre de solutions à grande échelle. Cela dit, je suis très encouragé par le potentiel des jeunes talents marocains que je rencontre régulièrement. Leur ambition et créativité sont des moteurs essentiels pour surmonter ces défis.

– Comment améliorer concrètement le climat des affaires pour faciliter l’acte de business des MRE ?

Améliorer le climat des affaires pour les MRE nécessite des réformes audacieuses et ciblées pour positionner le Maroc comme une destination attrayante pour les investissements et les projets technologiques. Il y a des aspects sur lesquels on peut capitaliser, à savoir la digitalisation de l’administration. Il est temps de simplifier et automatiser les démarches administratives pour réduire le délai de création d’entreprise à moins de 24 heures, comme cela a été fait au Rwanda, un exemple phare en Afrique. Cette approche améliorerait considérablement la transparence, l’efficacité et la satisfaction des investisseurs.


Nous avons aussi d’incitations fiscales dédiées aux investisseurs technologiques. C’est-à-dire offrir des subventions et des avantages fiscaux aux startups fondées par des MRE, suivant le modèle des Émirats arabes unis, qui ont attiré des milliards d’investissements grâce à des politiques fiscales proactives.


En plus, il faut renforcer les infrastructures numériques. Cela passe par l’investissement dans une connectivité Internet de classe mondiale et la multiplication des espaces de coworking modernes, permettant aux MRE et aux startups technologiques de travailler dans des environnements propices à l’innovation et au développement global. Enfin, lorsqu’on parle d’intégration des MRE dans les processus décisionnels stratégiques, on ne peut que penser au Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) qu’il faut moderniser de sorte à garantir une représentation active des MRE au sein des institutions politiques, notamment via un quota dédié dans les partis politiques. Cette participation directe permettrait de mieux aligner les politiques économiques et technologiques avec les ambitions des MRE.


En combinant ces mesures, le Maroc peut capitaliser sur les compétences et les ressources de sa diaspora pour devenir un hub technologique régional et mondial. Une telle stratégie renforcerait la compétitivité du pays et le positionnerait comme un leader dans l’économie numérique en Afrique.

 

Marocains du Monde : Levier Incontournable pour un Maroc Ambitieux en 2026

La communauté marocaine résidant à l’étranger (MRE) représente une richesse inestimable pour notre pays, tant sur le plan économique que culturel. Avec plus de six millions de Marocains vivant à l’étranger, leur rôle dans le développement national est indéniable.

Pourtant, leur participation politique reste limitée, notamment en raison de l’absence de mécanismes adaptés leur permettant d’intégrer pleinement les institutions représentatives, en particulier le Parlement. Il est temps de réformer notre approche et d’accorder à nos concitoyens du monde la place qu’ils méritent dans la gouvernance nationale.

Un engagement royal clair en faveur des MRE

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a, à plusieurs reprises, souligné l’importance des Marocains du monde et la nécessité de renforcer leur intégration dans la vie politique et économique du pays. Dans son discours du 20 août 2015, à l’occasion de la Fête du Trône, le Souverain a insisté sur le fait que “les Marocains du monde doivent bénéficier d’un encadrement politique et institutionnel à la hauteur de leurs attentes”. Il a également rappelé leur rôle fondamental dans le rayonnement international du Maroc et a exhorté les institutions nationales à leur accorder une attention particulière.

De plus, dans son discours du 20 août 2022, Sa Majesté a réaffirmé que “les membres de notre communauté à l’étranger doivent bénéficier d’une plus grande implication dans les affaires publiques et d’un accompagnement efficace pour surmonter les défis auxquels ils sont confrontés”. Ce message royal est un appel clair à une refonte du cadre institutionnel permettant une représentation effective des MRE dans le paysage politique national.

Un enjeu économique et stratégique

Les Marocains du monde sont des acteurs économiques majeurs. En 2023, les transferts de fonds des MRE ont dépassé les 110 milliards de dirhams, contribuant directement à la balance des paiements et au financement de nombreux secteurs clés, tels que l’immobilier, le tourisme et l’entrepreneuriat. Au-delà des transferts financiers, cette diaspora joue un rôle central dans l’investissement, la création d’entreprises et le développement des relations commerciales internationales.

Cependant, malgré leur poids économique, les MRE demeurent sous-représentés dans les instances décisionnelles. Cette absence limite leur capacité à défendre leurs intérêts spécifiques, notamment en matière de protection sociale, de simplification des procédures administratives et de promotion des investissements au Maroc.

Les partis politiques marocains face aux compétences des MRE : un potentiel inexploité

L’un des freins majeurs à une meilleure intégration politique des Marocains du monde réside dans le manque de mobilisation des partis politiques nationaux. En dépit de la présence d’une élite marocaine active et influente à l’international – dans les domaines de la technologie, de la finance, de l’entrepreneuriat et des sciences – les formations politiques n’ont pas su capitaliser sur cette richesse humaine pour renforcer leurs structures et affiner leur compréhension des besoins réels des MRE. Les partis politiques marocains, souvent centrés sur les dynamiques locales, peinent à adapter leurs stratégies aux attentes des militants et sympathisants résidant à l’étranger.

Ces derniers, confrontés à des défis spécifiques (mobilité internationale, accès aux services consulaires, reconnaissance des diplômes, intégration économique dans le pays d’accueil et au Maroc), ne trouvent pas toujours une oreille attentive au sein des instances partisanes.

Au lieu de structurer une véritable offre politique pour cette communauté, les partis ont souvent cantonné leur engagement envers les MRE à des actions ponctuelles ou à des discours de circonstance, sans réel suivi ni mécanisme d’intégration. Cette absence de vision stratégique empêche le pays de tirer pleinement profit du savoir-faire de sa diaspora, alors même que d’autres nations réussissent à impliquer activement leurs expatriés dans le développement national. Il est essentiel que les partis politiques marocains modernisent leurs structures, en intégrant les compétences des MRE dans leurs bureaux politiques et en leur offrant des canaux d’expression et d’engagement concrets. Une telle démarche permettrait non seulement d’enrichir le débat politique, mais aussi d’adopter des politiques publiques mieux adaptées aux réalités d’une diaspora dynamique et engagée.

Un impératif démocratique : l’intégration des MRE au Parlement

La Constitution marocaine de 2011 reconnaît explicitement la place des Marocains du monde dans le tissu national. Son article 17 stipule que les MRE jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit de vote et d’éligibilité. Toutefois, en l’absence d’un cadre législatif adapté, cette disposition reste largement inappliquée. Il est donc crucial de mettre en place des mécanismes permettant aux MRE d’avoir une véritable représentation parlementaire, soit par des sièges dédiés, soit par des listes nationales intégrant des candidats issus de la diaspora. Cette réforme renforcerait la légitimité démocratique du pays et permettrait d’avoir une politique plus inclusive et alignée avec les réalités vécues par nos compatriotes à l’étranger.

Conclusion : un engagement collectif pour une réforme nécessaire L’intégration des Marocains du monde dans le paysage politique marocain n’est pas seulement une question de justice démocratique, mais aussi un levier de développement économique et d’influence internationale.

En leur offrant une représentation institutionnelle adéquate, le Maroc pourra mieux répondre à leurs attentes et bénéficier pleinement de leurs compétences et de leurs contributions. Conformément aux Hautes Orientations Royales, il appartient aux décideurs politiques d’agir avec responsabilité pour concrétiser cette vision et garantir à nos concitoyens du monde une place légitime au sein des institutions du Royaume.

Economic and Political Review of President Emmanuel Macron’s Recent Visit to Morocco: What Did Morocco and France Gain?

1. Strengthening the Economic Partnership

Strategic Investments

France remains Morocco’s leading trading partner and a key investor in the Kingdom, accounting for around 31% of foreign direct investment (FDI) flows. During this visit, new agreements were signed, targeting strategic sectors such as automotive, aeronautics and renewable energy. Trade between the two countries, estimated at €10 billion in 2022, is expected to grow by 20% over the next five years thanks to these commitments. For Morocco, these foreign investments are vital for its economic development and its goal of attracting more foreign operators.

Renewable Energies

France has announced a commitment of 500 million euros for the development of energy infrastructure in Morocco, particularly in solar and wind power. This support meets the Kingdom’s ambitions to produce 52% of its energy from renewable sources by 2030, while benefiting from French know-how and technological innovation.

Infrastructure and Transport

A key project discussed during this visit is the high-speed rail line (LGV) linking Marrakech to Agadir, estimated at 3 billion euros. This investment will allow Morocco to strengthen its transport infrastructure, crucial for its economic development and its role as a regional hub, while offering French companies an opportunity to contribute to this major project.

2. Major Political Advances

Recognition of Sovereignty over the Sahara

A highlight of this visit is the affirmation of French support for Moroccan sovereignty over the Sahara, a far-reaching diplomatic recognition for the Kingdom. This consolidates Morocco’s position on the international scene and strengthens its territorial legitimacy. This French support gives the Kingdom greater stability in the face of regional issues and constitutes a strategic lever in international negotiations.

Security Cooperation

Strengthening security cooperation, particularly in the fight against terrorism, was highlighted. Morocco, considered a pivotal player in the Mediterranean and Sahel region, offers France enhanced collaboration to stabilize the region, a crucial issue for both countries.

3. Technological Collaboration and Innovation

Support for the Technology Sector

France has committed to investing 150 million euros to support Moroccan start-ups and strengthen Morocco’s role as a technology hub in Africa. This partnership in innovation allows for a transfer of skills and technologies, stimulating the start-up ecosystem and promoting entrepreneurship.

4. A “Win-Win” Cooperation Model

Moroccan Strategy of Opening to Several Partners

Morocco has clearly emphasized its requirement for a “win-win” approach in its relations with France. This strategy aims to ensure that both parties derive equitable benefits from their collaboration. In addition, the Kingdom adopts a policy of diversifying its international partnerships, including not only France but also other major economic players such as China, the United States and the Gulf countries. This approach allows Morocco to strengthen its economic resilience and expand its cooperation opportunities.

5. Economic and Political Impacts for the Two Countries

For Morocco:

    • Diplomatic support with the recognition of the Moroccan Sahara.
    • Strengthening French investments, creating thousands of jobs and stimulating economic development.
    • Leading energy and technology partnership.

For France:

    • Increased access to African markets via Morocco, considered a strategic gateway.
    • Stability and security with a reliable partner in an unstable region.
    • New business opportunities in key sectors such as energy and infrastructure.

President Emmanuel Macron’s visit aided the foundations for sustainable and mutually beneficial cooperation between Morocco and France. While the convergence of economic and political interests is clear, it is also essential to anchor this partnership in a balanced approach that respects the priorities of each country. By diversifying its alliances, Morocco reaffirms its ambition to become a major player on the international scene, while France consolidates its position as a key partner in the region. A win-win strategy that can only strengthen the ties between the two nations.